Pourquoi la structure relationnelle est essentielle au leadership

Dans un monde professionnel en mouvement permanent, la question de la structure ne se limite pas à la gestion du temps ou à l’organisation des tâches. Elle touche à une dimension plus subtile : la manière dont nous structurons nos relations. Nos interactions quotidiennes - réunions, salutations, échanges informels, discussions anodines - répondent à un besoin fondamental : donner du cadre, du sens et de la sécurité à la relation. Pour les dirigeant.es, comprendre cette mécanique est un levier puissant de leadership relationnel. Pour les équipes, c’est une clé pour mieux coopérer et réguler les tensions.

La structure : un besoin humain essentiel

Fondateur de l’Analyse Transactionnelle, Éric Berne identifie trois besoins fondamentaux chez tout être humain :

  • le besoin de stimulation, pour rester vivant et actif,

  • le besoin de reconnaissance, pour se sentir exister aux yeux des autres,

  • et le besoin de structure, pour donner du sens et de la cohérence à son temps.

Sans structure, la relation devient floue, l’incertitude grandit et le collectif se désorganise. La structure, au contraire, offre une enveloppe psychologique rassurante, propice à la stabilité et à la coopération.

« L’être humain ne peut vivre dans le chaos. Il a besoin d’un cadre, d’un contenant, d’une enveloppe protectrice. » Éric Berne, Que dites-vous après avoir dit bonjour ?, 1972

Les six manières de structurer le temps selon Éric Berne

  1. Le retrait C’est la mise à distance, physique ou mentale. On évite le contact pour se protéger ou observer à distance.
    💬 Exemple : le nouveau collaborateur qui reste à l’écart pendant la soirée d’entreprise, les yeux rivés sur son téléphone, redoutant de ne pas trouver sa place.

  2. Les rituels Ce sont les échanges convenus, codifiés, prévisibles. Ils maintiennent le lien sans risque.
    💬 Exemple : le directeur qui fait le tour de la salle en saluant chacun : « - Bonjour, comment allez-vous ? - Très bien, merci, et vous ? »

  3. Les passe-temps Ce sont les conversations légères, universelles, qui permettent de parler sans trop se livrer.
    💬 Exemple : deux collègues qui échangent près de la machine à café : « - Tu as vu la météo ? - Oui, encore la pluie… on n’en sort plus ! »

  4. L’activité Elle mobilise l’énergie vers un but commun : organiser, décider, agir.
    💬 Exemple : la responsable RH qui briefe son équipe avant la plénière : « Je vous rappelle qu’on est là pour renforcer l’engagement des salariés. Gérard, tout est prêt pour la session Q&R ? Sandrine, tu fais l’intro avant le Président ? Parfait. Bonne session à tous ! »

  5. Les jeux psychologiques Ce sont des échanges en apparence anodins, mais porteurs de messages cachés. Le jeu le plus connu étant celui qui se joue dans le Triangle Dramatique.
    💬 Exemple : le Président ne retrouve pas ses notes avant son discours et s’adresse à sa secrétaire devant tout le monde : « Natacha, où avez-vous encore mis mes notes ? » Le jeu est lancé : le président accuse, la secrétaire se justifie, une collègue tente de sauver.

  6. L’intimité C’est la relation authentique, ouverte, sans masque ni rôle social. C’est la possibilité d’exprimer ce que l’on ressent vraiment, avec sincérité et sans peur du jugement.
    💬 Exemple : une comptable confie à une collègue RH : « - C’est agréable de tous se revoir, mais honnêtement… je suis épuisée. - Merci de me partager cela. On peut en reparler demain si tu veux, au calme. »

Les chercheurs Les Boyd ont depuis ajouté un septième mode : le jeu ludique, qui consiste à plaisanter, taquiner ou rire ensemble, une manière légère de renforcer les liens sans enjeu caché.

De la régulation individuelle à la dynamique collective

Quand la structure devient une boussole émotionnelle

La psychothérapeute Fanita English a prolongé les travaux d’Éric Berne en explorant le lien entre nos besoins de stimulation, de reconnaissance et de structure. Selon elle, lorsque ces besoins ne sont pas satisfaits, l’être humain cherche inconsciemment à les combler autrement, à travers ce qu’elle appelle des « substituts de stimulation ». Ces substituts peuvent prendre de multiples formes : suractivité, contrôle excessif, retrait, bavardage incessant ou encore perfectionnisme. Autant de tentatives, souvent inconscientes, de retrouver une forme d’équilibre émotionnel.

« Quand une personne ne reçoit pas la stimulation dont elle a besoin, elle se fabrique des substituts, souvent coûteux émotionnellement. » Fanita English, The Substitution Factor, Transactional Analysis Journal, 1971

Au travail, ces comportements ne sont pas marginaux : ils constituent des stratégies d’adaptation collectives.

  • Certaines équipes s’enferment dans l’activité permanente, comme pour combler un vide de sens ou éviter la confrontation avec l’incertitude.

  • D’autres se réfugient dans les rituels, pour maintenir une apparente harmonie et éviter les conflits.

  • D’autres encore s’enlisent dans des jeux psychologiques : tensions larvées, ironie, sous-entendus, où s’expriment à demi-mot les frustrations accumulées.

Ces stratégies ne sont pas pathologiques : elles traduisent la manière dont le collectif tente de se réguler émotionnellement quand le cadre, la reconnaissance ou la clarté manquent. La structure relationnelle devient alors un système d’autorégulation, un moyen de tenir debout malgré les déséquilibres internes.

Mais lorsque cette régulation se fige, le système s’appauvrit. Trop de rituels finissent par étouffer la spontanéité. Trop d’activité conduit à l’épuisement. Trop de jeux psychologiques détruit la confiance et enferme les individus dans des rôles stériles.

Le rôle du leader, dans ce contexte, est essentiel : il s’agit de rétablir la circulation émotionnelle, d’aider l’équipe à diversifier ses modes de structuration du temps, à réintroduire du jeu, du lien, du sens. Autrement dit, de transformer la structure défensive en structure vivante.

Le travail comme scène sociale

Le sociologue Erving Goffman a décrit la vie sociale comme une mise en scène permanente, où chacun joue un rôle pour maintenir sa position et préserver la cohérence du collectif. Dans cette « dramaturgie sociale », nous évoluons entre une scène (celle de l’interaction publique) et des coulisses, où nous pouvons relâcher le rôle et redevenir nous-mêmes.

« L’interaction sociale est une représentation : chacun s’efforce d’influencer la définition de la situation donnée par les autres. » Erving Goffman, The Presentation of Self in Everyday Life, 1959

Au travail, cette lecture prend tout son sens. Chaque réunion, chaque échange informel, chaque mail peut être vu comme un acte de représentation : nous y tenons un rôle (le manager bienveillant, le collaborateur compétent, l’expert rassurant, etc.) qui sert à maintenir la stabilité du système.

Les rituels, les formules convenues et les codes de politesse ne sont donc pas superficiels : ils constituent des mécanismes de régulation indispensables. Ils permettent d’éviter les heurts, de préserver les statuts, de donner au collectif un cadre lisible et sécurisant.

Mais Goffman rappelle aussi que plus un rôle est tenu avec rigidité, plus il éloigne de l’authenticité. Lorsque les rituels deviennent automatiques, que chacun joue “sa partition” sans véritable écoute, la relation se vide de son sens. L’entreprise devient alors un théâtre où l’on performe le professionnalisme, mais où le lien humain se perd derrière le rôle.

C’est précisément là que se situe l’un des défis du leadership contemporain : trouver l’équilibre entre le cadre nécessaire à la coopération et l’authenticité nécessaire à la confiance. Un leader lucide n’abolit pas les rôles, il les rend conscients, souples et vivants. Il sait quand tenir la scène et quand inviter son équipe à descendre en coulisses, pour laisser place à une parole plus vraie, plus incarnée.

Le rôle du leader : structurer sans enfermer

Le manager, architecte du temps relationnel

Le chercheur en management Henri Mintzberg a profondément transformé notre regard sur le rôle du manager. À rebours de la vision planificatrice héritée du taylorisme, il a observé que le travail d’un manager se compose en réalité d’une succession d’interactions brèves, fragmentées et souvent informelles.

« Le travail du manager n’est pas de planifier mais de faire fonctionner un système de relations humaines complexes. » Henri Mintzberg, The Nature of Managerial Work, 1973

Des conversations de couloir, des échanges d’e-mails, une question posée au détour d’un open space, une remarque glissée en sortie de réunion : autant de moments apparemment mineurs qui, mis bout à bout, forment la trame relationnelle de l’organisation. Ces micro-échanges, loin d’être anecdotiques, sont ce qui fait tenir le collectif : ils assurent la circulation de l’information, l’ajustement des priorités, la reconnaissance implicite des efforts. C’est dans ces interstices, plus que dans les grandes décisions, que se construit la confiance.

En observant ces dynamiques, Mintzberg met en lumière une vérité souvent oubliée : le management est un travail de relations avant d’être un travail de planification. Chaque mot, chaque regard, chaque moment de disponibilité structure le temps et l’espace relationnel de l’équipe.

Un leader efficace sait alterner ces modes de structuration selon les besoins du moment :

  • du rituel pour sécuriser et créer un cadre de référence partagé ;

  • du jeu ludique pour relâcher la pression et maintenir la vitalité du groupe ;

  • de l’activité pour canaliser l’énergie vers l’action ;

  • et de l’intimité pour permettre des échanges authentiques, générateurs de confiance.

Mais cette compétence ne se limite pas à une technique d’animation : c’est une forme de présence consciente. Le leader attentif perçoit quand une réunion devient trop rigide, quand un jeu psychologique s’installe, ou quand un collaborateur a besoin d’un espace plus vrai pour s’exprimer. Il ajuste le rythme, change le registre, crée des respirations.

Cette fluidité relationnelle distingue le manager opérationnel, centré sur les objectifs, du leader relationnel, capable de faire évoluer les liens pour soutenir la performance collective. L’un gère les ressources, l’autre orchestre les relations humaines : il sait que la structure du temps n’est pas seulement une question d’agenda, mais de qualité de présence.

La structuration du temps, miroir de la maturité collective

Dans le coaching d’équipe, la grille d’analyse de Berne devient un véritable outil de diagnostic du fonctionnement collectif. Elle offre un regard lucide sur la manière dont un groupe gère son énergie, sa communication et ses émotions.

« La manière dont une équipe structure son temps révèle sa capacité à fonctionner avec autonomie et authenticité. » Claude de Scorraille et Laurent Cungi, La Process Communication au travail, 2018

Observer la structuration du temps d’une équipe, c’est en quelque sorte prendre son pouls relationnel.

  • Une équipe figée dans les rituels (réunions formelles, tours de table sans enjeu, politesse de surface) cherche souvent à éviter le désaccord. Sous une apparente harmonie, on perçoit parfois de la prudence, de la peur de déplaire ou un manque de sécurité psychologique.

  • Une équipe enfermée dans les jeux psychologiques, au contraire, manifeste souvent une tension plus profonde : rivalités implicites, luttes d’influence, frustrations non exprimées. Ces jeux traduisent un besoin de reconnaissance ou de sens qui n’a pas trouvé d’espace d’expression légitime.

  • Enfin, une équipe capable d’intimité – c’est-à-dire de se parler vrai, d’exprimer une émotion, de reconnaître ses vulnérabilités – témoigne d’un haut niveau de maturité collective. Ce type de relation ne s’improvise pas : il naît d’un climat de confiance construit dans la durée, où chacun se sent libre d’être soi tout en respectant le cadre commun.

Le chercheur Jacques Moreau a d’ailleurs montré que les temps collectifs, qu’il s’agisse de réunions, de pauses ou de moments informels, ne sont pas accessoires. Ils jouent une fonction de régulation symbolique et émotionnelle : ils permettent à l’équipe de restaurer l’équilibre entre les exigences de performance et les besoins humains de lien, de reconnaissance et de respiration.

« Les temps collectifs, loin d’être du “hors-travail”, participent activement à la construction du lien social et à la performance durable. » Jacques Moreau, La structuration du temps dans les organisations, 1995

Autrement dit, le temps passé à parler de la manière dont on travaille fait partie du travail. C’est même une condition de la performance collective.

Dans cette perspective, le rôle du coach ou du leader n’est pas d’imposer une nouvelle structure, mais d’aider le groupe à prendre conscience de la sienne :

  • Quelles formes de structuration dominent ?

  • Quelles émotions circulent ?

  • Quels espaces manquent pour que l’équipe retrouve de la vitalité et de la confiance ?

Accompagner une équipe, c’est donc l’aider à retrouver sa souplesse relationnelle : pouvoir passer des rituels sécurisants à des échanges plus authentiques, sans crainte ni dérive. C’est là que naît la coopération véritable — celle qui repose sur la lucidité, la confiance et le respect du rythme collectif.

Vers un leadership plus conscient

Dans mon travail de coach d’équipe, j’observe combien la structuration du temps agit comme une boussole relationnelle.
Elle rend visible ce qui se joue dans les interstices du quotidien : la façon dont les équipes gèrent la reconnaissance, le risque, la confiance.

Aider une équipe à élargir sa palette de structuration du temps, c’est lui offrir plus de souplesse, de vitalité et de cohésion. C’est aussi lui permettre de trouver le juste équilibre entre cadre et liberté, entre rituel et intimité. Parce qu’au fond, le leadership ne se mesure pas à la clarté du cap, mais à la qualité du lien qui permet d’y parvenir ensemble.

En conclusion, structurer le temps, ce n’est pas enfermer la relation. C’est lui donner un rythme, une forme, une respiration. C’est offrir au collectif un cadre vivant où la sécurité n’exclut pas la spontanéité.

Et si, en entreprise, nous apprenions à passer un peu plus souvent du jeu psychologique au jeu ludique
ou, mieux encore, à l’intimité authentique ?


Vous souhaitez mieux comprendre les dynamiques relationnelles de votre équipe et renforcer la confiance collective ? Je propose des accompagnements de coaching d’équipe pour aider les collectifs à clarifier leurs modes de fonctionnement, fluidifier la communication et consolider leur leadership collectif.

Découvrez mon approche du coaching d’équipe ici ou contactez-moi pour en parler.

Contactez-moi pour en parler

Références :

Éric Berne – Que dites-vous après avoir dit bonjour ?, Stock, 1972

Fanita English – The Substitution Factor, Transactional Analysis Journal, 1971

Erving Goffman – The Presentation of Self in Everyday Life, 1959

Henri Mintzberg – The Nature of Managerial Work, Harper & Row, 1973

Claude de Scorraille & Laurent Cungi – La Process Communication au travail, InterEditions, 2018

Jacques Moreau – La structuration du temps dans les organisations, Revue de Psychologie du Travail et des Organisations, 1995

Suivant
Suivant

Radical Candor : un feedback exigeant et bienveillant.